Présenté par Rémi Astruc. Pour écouter la présentation: pbo-qiay-uhn (2021-10-01 at 06:09 GMT-7)

David Graeber était un anthropologue américain, professeur à la London School of Economics, et un militant politique, co-fondateur notamment du mouvement Occupy Wall street (en 2011). Il est mort subitement en 2020.
Elève de Marshall Sahlins, il a mené ses premières recherches avec pour terrain d’études certaines sociétés rurales des hautes plaines de Madagascar. En une quinzaine d’années, il est devenu l’une des principales figures de l’anthropologie anarchiste au XXe siècle, dans le sillage de Pierre Clastres (auteur notamment de La société contre l’Etat dans les années 70) et de James C. Scott (auteur notamment de L’art de ne pas être gouverné (Zomia) 2009).
Graeber a écrit sur une multitude de sujets en apparence très disparates mais qui reflètent en réalité l’ouverture de sa pensée et la diversité de ses intérêts, des « jobs à la con », aux utopies pirates (Libertalia), en passant par la démocratie, les relations de pouvoir, la monnaie, l’anarchisme, les fondements socioéconomiques des sociétés, l’Etat et les institutions, l’autorité, la violence, etc. Auteur prolifique, il a notamment obtenu une reconnaissance mondiale à la suite de ses livres sur la dette, la bureaucratie ou sur les « bullshit jobs » en particulier. Dans ses différents textes, il a posé les bases et développé les principes d’une « science anarchiste » qui résonne aujourd’hui avec bien des situations pratiques (mouvements de protestations issus de la société civile, ZAD…) et avec une théorie, dans les sciences humaines en général, qui se cherche encore et qui rejoindrait en quelque sorte cette épistémologie anarchiste qu’il appelait de ses voeux.
Penseur anticapitaliste, David Graeber « pense d’ailleurs » notamment par ce qu’il pense l’économie et les phénomènes économiques et sociaux en général (les règles, le travail, la dette, la valeur, les organisations, la violence) selon une approche historique et à partir des connaissances anthropologiques issues de ses propres terrains d’enquête ou de ceux des autres. Ceux-ci le conduisent à renverser radicalement certains des préjugés parmi les plus communément admis et profondément ancrés, même parmi ses alliés politiques les plus proches (par exemple : pourquoi faudrait-il toujours rembourser ses dettes? soit pourquoi on croit à la fable économique d’Adam Smith selon laquelle la monnaie a été inventée pour prendre la suite du troc ) ou pourquoi est-on intimement persuadé de vivre dans une société d’accélération technologique sans précédent ? (et pourquoi il n’existe cependant toujours pas de voitures volantes aujourd’hui ou comment les promesses technologiques des années 60 n’ont-elles pas été tenues), etc.
Parmi toutes ces questions nous en choisirons 3: 

• Pourquoi nos vies dans les démocraties occidentales capitalistes sont-elles envahies par la paperasserie, ce qui était pensé il y a peu comme le propre des pires dystopies totalitaires?

=> texte 1a, 1b et 1c issu de Bureaucratie (The Utopia of rules), Seuil, 2017 (2015). (Si le texte n’est pas lisible, vous pouvez feuilleter certains extraits ici.)

– Pourquoi la démocratie serait-elle une invention (voire une spécificité) occidentale alors que la plupart des civilisations du monde la connaissent et la pratiquent depuis longtemps?

=> texte 2 issu de La Démocratie aux marges, Le Bord de l’eau, 2014

-Pourquoi, alors que l’on assiste à un retour en force des idées anarchisantes, n’existe-t-il pas de science anarchiste digne de ce nom ?

=> texte 3a introduction de Pour une anthropologie anarchiste, LUX, 2008 (2004) et texte 3b un extrait du même ouvrage.
À travers cette présentation de quelques uns de ses sujets d’études, nous tenterons de démontrer que malgré l’éclatement certain de sa pensée et la diversité étourdissante de ses centres d’intérêt, il a pourtant jeté les bases d’une science sociale cohérente et potentiellement efficace pour contester la vision néolibérale dominante du monde (et son « there is no alternative ») qui prévaut encore jusqu’au coeur même de nos disciplines de Lettres et Sciences humaines et sociales.